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rait le jeune avenir sous la sape. Sa libre critique effrénée et la santé sauvage de sa nature, qui allait toujours droit à ses fins, sans s’embarrasser de faux-fuyants, l’avaient peu à peu rapprochée — d’abord, sans qu’elle en eût conscience, puis : — ( « Que m’importe ? Je vais mon chemin ; le chemin est aussi aux chiens !… » ) — des conceptions de la Russie nouvelle. Quand elle s’était retrouvée en contact avec quelqu’un qui en venait — une ancienne compagne de pension, à présent communiste, dactylo à l’ambassade des Soviets, — elle avait subitement reconnu sa terre et son climat spirituel. Son orgueil de vaincue qui ne voulait point l’être s’était refusé à l’admettre. Mais qu’elle l’admette ou non, le fait est là : cette émigrée voit, juge les émigrés et l’Occident, et le monde moral et social tout entier, avec les yeux d’un Russe de la Russie révolutionnaire. Ce qui le plus l’empêche d’y participer, c’est une fierté individualiste, que la solitude de l’exil avait encore accrue. Les circonstances de sa vie avaient imprimé à sa nature ce pli ineffaçable ; mais le fond même de sa nature eût aspiré à se mêler à ces masses humaines en fusion. D’où, des accès intermittents de nostalgie fiévreuse et torpide.

Alors, ces jours dont j’ai parlé, d’immobilité prostrée sur son lit. C’était alors qu’avait filtré peu à peu, à travers la cloison, la présence invisible du jeune voisin. Dans la paralysie des membres étendus, l’ouïe gardait une acuité accrue, et elle plongeait, comme une antenne d’insecte géant, entre les fentes, dans la chambre de Marc. Elle l’explorait, en tâtonnant, et, morceau par morceau, reconstituait l’antre et la bête. Celle-ci — je dis : Marc — trompée par l’immobilité du voisinage, se livrait, sans se douter que tous ses mouvements étaient palpés : l’antenne sans yeux, tenace, le fouillait, du haut en bas. La fièvre de Marc ne monologuait pas seulement en rêve. Quand il se croyait seul, il ne surveillait pas son bouillonnement :