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par les fibres les plus secrètes, pour ne pas voir luire dans certains mots rudes et serrés, comme des blocs de charbon, le grain de feu concentré. Elle se devinait obscurément l’objet d’une exaltation violente et pure, presque religieuse. Elle la jugeait absurde ; mais elle en avait au cœur une humble gratitude. Il faut aux combattants une illusion d’amour et de vénération… « Non sum digna… Mais je te remercie, mon petit chevalier… »

Cette étrange communion, entre eux inexprimée, porta le jeune combattant sur les eaux noires et glacées de ces mois de solitude et de gêne, sans y couler… Mais il avait bien froid aux pieds ! Et il claquait de la semelle, dans la rue, attardé, cette nuit-là, quand il crut apercevoir, au travers du brouillard, dans un coin du trottoir mal éclairé, une forme connue. Il fit un brusque crochet pour la voir sans être vu. Il ne se trompait pas : c’était elle — c’était Ruche. Collée contre un kiosque à journaux fermé, de façon que ne l’atteignît point la lueur du fanal électrique, elle guettait la porte d’une maison. Elle était comme à l’affût, tapie, l’avant-corps projeté hors de l’abri. Marc s’arrêta, se dissimulant à quelques pas. La rue était déserte. Une horloge marquait une heure du matin. Ruche ne bougeait point. Son regard était rivé à la porte fermée… La porte s’entr’ouvrit. Ruche fut près de bondir ; et son bras droit jaillit de l’ombre, pointa, mais aussitôt se replia… L’homme qui sortait n’était pas celui qu’elle attendait… Elle s’était de nouveau tapie, écoutant s’éloigner les pas de l’étranger. Et Marc s’était replié aussi. Mais il avait vu le bras, et il savait maintenant. Il s’approcha sans bruit, tourna autour du kiosque, et la saisit. Elle eut un sursaut d’effroi et de colère, elle se débattit, sans un cri, mais enfonçant ses griffes. Marc avait commencé par lui arracher l’arme, en lui tordant le poignet. Il l’immobilisait durement contre le mur, tout en soufflant à la