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on la lui avait laissée pour compte ; et il l’avait acceptée, ayant lui-même connu le désespoir où la misère, la soif de jouir qu’on ne pourra jamais satisfaire, et le féroce abandon des proches peuvent acculer un jeune paysan perverti de l’après-guerre, à Paris. Son amertume était profonde ; mais elle était sans vigueur. L’homme était né vaincu. Il ne faisait pas bon être pris sous son égide. Marc, qui écoutait sans trop entendre, s’écartait instinctivement.

L’ordre était donné, à la prison. Ils passèrent ; et, à la porte de la cellule, l’avocat, serrant la main de Marc, le laissa seul. Marc entra, comme dans la fosse.

Une lumière blanche, dépouillée de vie, tombait de la vitre d’en haut, grillée et dépolie. Il n’y avait point d’ombre. L’ombre est la vie.

Le mort était debout, dans un coin. Il vint à Marc, qui restait figé, au seuil, et sans le vouloir, recula d’un demi-pas, se heurta le dos contre la porte refermée. Simon perçut l’effroi, et ricana :

— « Tu as peur ?… Allons, mon gosse, remets-toi ! Ce n’est pas ta peau que l’on va prendre… Ta peau, veinard, elle est à toi. »

Marc rougit. Il dit avec honte et douleur :

— « Simon, crois-tu que je tienne à ma peau ? Mon Dieu, mon Dieu, pour ce qu’elle vaut ! » D’un ton bonhomme, Simon dit :

— « Elle ne vaut pas cher. Tiens-y, tout de même ! Elle te va. »

Il était debout devant Marc, jambes écartées, les bras ballants. Marc, qui n’avait pas osé encore le regarder, leva les yeux, vit la grosse face au crâne tondu, qui lui souriait sans méchanceté. Il eut un élan. Ses mains, peureuses, qui se dérobaient derrière son dos, se tendirent. Simon les saisit.

— « Une sale corvée, que je t’ai imposée !… Hein ! mon petit ?… Je le savais ! C’est même pour cela que je l’ai fait… J’avais parié ma tête contre moi-même