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mais qui laissait faire sa pupille, avec une blague indulgente, en marmonnant à son bonnet que, chez une femme, la cagoterie, à petites doses, offrait, « en somme », un gage de plus de sécurité domestique, pour le mari.

Ce qui n’était, « en somme », pas aussi sûr que cela !.. Cette Bernadette, en apparence, modérée, dénuée de surprises ; froide et sensée, trois semaines par mois, avait des troubles singuliers, l’autre semaine. Elle changeait de tempérament ; elle ne jugeait plus, ne raisonnait plus, des mêmes yeux ni des mêmes lobes, les choses et les gens ; elle ne gouvernait plus sa direction : gare aux fossés et aux arbres sur la route ! La machine semblait tentée d’aller piquer du nez dessus… Comme ces risques étaient chroniques, Bernadette avait appris à les entendre venir ; et elle s’arrangeait pour, quand ils venaient, s’enfermer le mieux possible à l’écart ; elle s’était fait, pour dissimuler, une force extrême de contrainte. Mais dans son for, et à ces heures, haine et amour, désir, envie et jalousie, toutes les poussées venues du ventre ou du front, les pires imaginations d’un tempérament inassouvi et sans frein, rôdaient, guettaient. Elle eût été toujours à deux doigts des plus inconcevables inventions. Mais on ne s’en apercevait qu’aux ondes rosées qui, brusquement, lui mouillaient le cou, ou, refluant, laissaient aux joues des pâleurs vertes. Elle frémissait, se broyant la bouche avec le mors, elle se sentait près de s’évanouir, et elle s’arrêtait juste à temps. C’était, au fond, tous risques comptés et toutes peines, une volupté. Elle était seule à la savourer.

Marc était loin de s’en douter. Et, qui sait ? s’il l’eût connu, peut-être aurait-il commencé de s’intéresser à elle. Il était de ces hommes qui, sottement, sont attirés d’instinct par le dangereux, l’obscur, le gouffre trouble : car la nuit chaude est prometteuse de richesses, que le jour plat démonétise ; et dans la