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ronde et rêche, ne déparait point la ligne ; elle était de style et dans le style de tout l’objet. Elle s’illuminait, au reste, — quand elle voulait (c’était seulement quand Marc la regardait) — de deux yeux pers qui se faisaient tendres et pleins d’esprit, et dont l’appel eût pu réveiller un mort. Mais le résultat était, sur Marc, qu’il regimbait, — et d’autant plus que, malgré lui, il en vibrait ; il arrachait, avec colère, l’aiguillon.

Sylvie ne comprenait pas pourquoi son neveu ne voulait pas du bonheur qu’elle lui offrait : un fin et solide article de Paris : (elle s’y connaissait !) Pas de camelote ; en bonne étoffe, faite pour durer : la tunique userait le corps, plutôt que de s’user, — une fille probe, active, avisée, dotée (en plus de l’héritage ) d’une intelligence vive, claire et pratique, — qui, par-dessus le marché, apportait à ce méchant singe une virginité non entamée et un cœur tout neuf à l’amour, un cœur qui ne brûlait que pour lui… Ce sapajou !… Car Bernadette lui avait versé ses effusions. Et Sylvie, grondeuse, ravie au fond, lui avait fait honte de s’enflammer pour ce mauvais garçon, laid, sot et orgueilleux, pauvre comme Job, et comme Job hargneux — (elle le pensait et ne l’en aimait que mieux :) — si elle l’épousait, c’était un honneur qu’elle lui faisait… Mais il n’eût pas fait bon que Bernadette la prît au mot et le répétât, comme de son cru : elle lui eût lavé les oreilles, en lui disant qu’elle n’était pas bonne à dénouer les cordons de souliers de son neveu : elle en était sacrement fière ! elle ne s’accordait qu’à elle, qui lui avait, gosse, mis et enlevé sa première culotte, le droit de le dénigrer : elle se l’arrogeait, de la tête aux pieds. Mais pourquoi diable cet animal, quand elle lui faisait son lit, se refusait-il à y entrer ? Après avoir fait honte à Bernadette de trop aimer Marc, elle lui faisait honte de ne pas savoir s’en faire aimer. Et c’était là, pour la fierté de Bernadette, un