Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/252

Cette page n’a pas encore été corrigée

sans véritable religion de cœur, elle acceptait de la religion l’armature extérieure. Elle y voyait une force de limitation nécessaire à éviter les expériences désastreuses, comme avaient été celles de sa mère. Ne pas penser au delà de ce qu’il est prudent de laisser entrer dans sa vie : c’était, chez elle, une règle instinctive de salut particulier. Cela ne nuisait en rien — (bien au contraire !) — à son sens, froid et aigu, du réel, qui était étroit, cru, et rangé, comme l’est celui d’une petite bourgeoise du quartier du Maine. Pas davantage, cela n’avait de prise sur sa vie passionnelle, dont elle gardait les clefs pour elle. Elle tenait noués, d’une main sèche, tous les cordons de son escarcelle. Point incapable d’affections, voire même ardentes, elle n’appliquait son énergie, son intérêt, même chez ceux qui la touchaient du plus près, que dans la zone de leur vie qui lui paraissait mitoyenne de la sienne. Peu lui chantait l’au-delà, — les jeux mystiques des deux cadets, les caprices toumeboulants de Sylvie, la vie d’esprit de Marc, que Sylvie (nous y reviendrons) lui faisait danser au bout d’une ligne. Elle n’avait aucune envie de discuter ce qu’ils pensaient. Elle ne fourrait pas là dedans son nez, petit, acéré, recourbé, comme d’un autour, qui cependant, s’il eût voulu, du premier coup, eût croché au fond du pot. Mais à chacun son pot ! Elle était toute à écumer le sien. Elle était d’ailleurs bien trop avisée pour ne pas savoir qu’il est décent de ne pas trop laisser voir aux autres cet intérêt trop exclusif qu’on porte à soi. Il faut avoir l’air de s’intéresser à ce qui les intéresse. Même Sylvie s’y trompait, — au moins en ce qui la concernait ; pour ce qui est des autres, elle n’était pas fâchée que sa pupille en maniât si dextrement les ficelles : — (elle n’aimait pas ceux qui sont dupes ; — et elle l’était). — Bernadette, qui avait saisi son faible, lui faisait part de ses observations malicieuses, dont elle mesurait la pointe selon les dispositions secrètes