Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/240

Cette page n’a pas encore été corrigée

fessant, elle avait pris des obligations envers lui. Des droits aussi. Il les lui reconnaissait implicitement. C’était prudent de n’en pas abuser. Elle s’en gardait, mais elle utilisait cette influence pour orienter, avec précautions, l’activité de Timon dans le sens social qu’elle jugeait juste. Si fine que fût la pression de sa main, rien n’en échappait à Timon ; mais il lui plaisait de laisser faire : ce n’était point contraire au plus secret de ses instincts ; il ne lui manquait que d’y croire assez pour le vouloir ; que Annette y crût, ne lui déplaisait pas : il en était un peu rafraîchi, dans l’aridité brûlante de sa volonté lancée sans but ; il pouvait bien lui accorder cette satisfaction de faire comme s’il y croyait.

Et peu à peu, il se prenait à son jeu. Il devenait, dans la forteresse capitaliste, l’armée qui passe à l’ennemi, — le barbare incorporé dans les légions de Rome, qui s’apprête à ouvrir les portes à l’invasion. Il contrecarrait aujourd’hui, sans prendre la peine de dissimuler, la coalition impérialiste qui, à défaut de l’intervention, ruinée maintenant, cherchait à étouffer l’U. R S S. par le blocus économique. Il les obligeait à le rompre, en concluant des traités d’affaires avec la Russie, qui n’étaient point d’ailleurs pour les beaux yeux de celle-ci : il y trouvait largement son avantage. Et ses rivaux, exaspérés, ne voulant pas lui en laisser le privilège, étaient forcés de solliciter à leur tour des arrangements avec ce monde prolétarien, qu’ils auraient voulu écraser. Leurs défections faisaient brèche dans la coalition. Les haines s’accumulaient contre Timon. On voulait lui casser les reins. Il le savait. Ce n’était pas en ce moment, lorsqu’il allait se jeter dans la fournaise, organiser sa machine de guerre, son Cartel de l’Acier, fait pour briser la domination de l’omnipotente machine anglo-saxonne, que Annette pouvait l’abandonner. Elle était la seule intime à qui il pût se fier.