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Annette, que la petite suppliait de ne la point quitter, fit coucher sa protégée dans son lit. Et ce fut alors qu’elle s’aperçut, par le rond rouge laissé sur le jeune front par son baiser, qu’elle avait la bouche blessée. Elle la lava, l’examina : une de ses bonnes dents, une canine, était brisée. Blessure de guerre. Elle avait de la chance que le reste de la mâchoire eût résisté ! Mais l’ennemi avait fui. Elle couchait sur le champ de bataille. Elle s’étendit près de la petite, qui, après avoir beaucoup pleuré, s’endormit d’un sommeil agité. Elle, ne dormit pas un instant. Elle avait des douleurs lancinantes à la face et des points de feu dans les yeux. Elle eut le temps de ruminer le plan du lendemain.

Le lendemain était commencé. L’aube s’annonçait. Annette se leva avant six heures, fit sa toilette, elle sonna, donna des ordres, se prépara, puis elle réveilla sa compagne, qui retombait sur l’oreiller :

— « Hop ! tu dormiras dans l’auto… »

Il fallut presque l’habiller. La main de Annette l’entraîna. Elles trouvèrent en bas, devant la porte, la puissante voiture de Timon. Annette parlait, agissait en maître. Et soit que son ton en imposât, soit que plutôt Timon eût donné des instructions, on s’inclinait comme si elle l’eût été. La petite se rendormit presque aussitôt, lourde des peines et des vins de la nuit ; Annette lui cala la tête contre les coussins ; et les yeux las, elle regarda, rêvant, glisser comme une bande de cinéma, la route blanche entre les haies, les champs, les villes, les fumées — et ses combats avec la vie. Elle déposa à son adresse de Paris sa pupille, enfin réveillée ; et elle rentra chez elle prendre un repos bien gagné.

Le sommeil lourd était entrecoupé d’éclaircies où ressurgissait, dans le bourdonnement de sa meurtrissure, la conscience nette d’une seule pensée bien arrêtée : — « Fini, Timon !… » — Et cependant, elle ne fut