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— « Assez ! Timon, tu es ivre ! »

Timon roula des veux terribles et, lâchant le chien qui s’élança à la poursuite, il assena son poing sur la bouche de Annette. Elle recula sous le coup, mais lui tenant tête, dans le brusque silence qui s’était fait, elle articula :

— « Tu as le vin lâche. »

Sa bouche saignait. Timon relevait son terrible poing. Mais il vit cette bouche. Son poing retomba. Et par derrière, en quatre enjambées, venu vers lui, le beau garçon de l’Intelligence lui emboîtait le poignet dans sa pince. Timon restait muet et pétrifié… Sur la pelouse, la petite hurlait à l’aide. Le grand chien l’avait rattrapée, de ses deux pattes sur les épaules jetée à terre, roulée, boulée ; et tout joyeux, il gambadait, tirant la langue et aboyant… Annette, lançant à Timon un dernier défi, lui tourna le dos et courut vers l’enfant renversée. Elle n’eut pas de peine à la délivrer : le chien la laissait faire, dansait autour, heureux, attendant qu’on le félicitât. Mais il ne fut pas facile de rassurer l’épouvantée. Elle se croyait morte déjà. Annette la releva, de force, essuya avec ses mains et son linge ce jeune corps mouillé de pleurs, de rosée nocturne et de la salive du vainqueur. Et l’enveloppant, comme elle pouvait, dans sa houppelande, serrée à elle, nues ou demi-nues toutes les deux, elle la ramena, tremblante encore, vers la maison. L’esplanade s’était à peu près vidée. Timon avait donné des ordres, et disparu. Restaient seulement quelques valets, porteurs de torches, qui s’empressèrent à leur frayer passage, et dans le hall, à distance, quelques curieux, lorgnant la rentrée singulière de la Junon, bouche sanglante, tête altière, qui ne daignait s’apercevoir de leur présence. Elle soutenait la poulette blottie sous son aile. Un vieux domestique très correct, que rien ne semblait pouvoir étonner, les escorta respectueusement dans l’ascenseur, jusqu’à la chambre de Annette.