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— « Ne bouge pas ! Reste ! » — Mais une vague inquiétude montait. Elle s’appuya sur son coude… L’agitation ne venait pas seulement du dedans. Il y avait des bruits et des lueurs indistincts, dans la nuit. Elle tendit l’ouie. Il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre… « La tête claire, ils ne l’ont plus !… » Elle haussa l’épaule et se renfonça… Tout de même, ils allaient fort !… On entendait des hurlements. Et un concert de chiens aboyants… Elle se leva, ouvrit la fenêtre… La chambre était à l’encoignure de l’aile gauche, dans un rentrant ; et sur sa droite, la masse toute proche du bâtiment principal lui masquait la perspective des jardins. Elle apercevait seulement, au faîte du rideau d’arbres, les reflets de lueurs, qui couraient. Et le fracas d’une trompe de chasse, avec les abois qui redoublaient… Des cris aigus… Elle se vêtit hâtivement, et sortant de sa chambre, elle chercha dans le corridor une fenêtre d’où l’on vît… Elle trouva, près du grand escalier, une porte à balcon sur le devant. Elle regarda et crut rêver…

Des valets de chasse, torches en main. Des chiens braillant, qu’on tenait en laisse, dansant une danse de St-Guy. Et sur les pelouses, des femmes nues, qui détalaient… La chasse de Diane… Mais ici, c’était Diane qu’on chassait… Et d’un bosquet, débouchèrent, au milieu des rires et des fanfares, quatre chasseurs en habit rouge qui portaient, sur les épaules, comme une biche, attachée des quatre membres à une perche, une nymphe nue, tête pendante, qui, pour dire vrai, ne criait point en style des dieux : une forte fille de Jordaens, qui bavait de rage et s’étranglait. Le cénacle des spectateurs en gaîté se tenait les côtes et ripostait par des paroles qui n’étaient pas non plus ailées… Le premier sentiment de Annette, en voyant du balcon la chasse nocturne, fut :

— « Les idiots !… Et voilà ce qu’ils ont inventé !… Ces croquants (jamais le nom ne fut si bien appliqué !)