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pas qu’elles connussent, ni peut-être qu’elles fussent connues, — sinon en particulier. Annette remit leurs noms sur trois ou quatre durs visages, qu’elle avait vus défiler chez le patron ; et bien entendu, ils la reconnurent. Ils ne furent pas sans surprise de sa présence. Ils ne savaient pas quels étaient exactement ses rapports avec Timon ; et dans le doute, ils lui témoignaient des égards, un peu boiteux. Annette les recevait comme son dû, et ceux qui clochaient, les remettait au pas, d’un port de tête indifférent, un peu hautain, qui avait l’air de ne point entendre. Son regard ne perdait pas son temps. Il explorait les vies tapies sous les visages. Elle les cataloguait, aidée des souvenirs de ses entretiens avec Timon, et des portraits qu’il lui avait faits. Elle reconnaissait ce vieux monsieur, au crâne ridé, qui semblait rire et guetter de tous les plis de son occiput, comme de ses petits yeux aux bords rouges, maigre, voûté, frileux, l’air d’un petit bourgeois retraité, — un roi des métaux américain. — Et cet autre, bourgeois, grand bourgeois, bien français, guindé, collet monté, avec des allures de notaire et de commandant en civil : un maître de forges et député. — Plus loin, ce beau garçon, au teint hâlé, aux larges épaules à l’étroit dans le frac, avec un sourire enjôleur et des yeux d’acier, qui échangèrent du premier contact avec Annette, un gai salut de camarade : de quelle nation était-il ? Il parlait toutes les langues, avec un accent irlandais, l’air très franc, mâle et câlin… Un mot de Timon à Annette lui désigna ce fameux agent de l’Intelligence Service, qui, sous tous les déguisements, fait et défait les royaumes, en Orient. — D’autres agents ne manquaient point, dans la respectable compagnie. Il en était qui portaient un grand nom : — un gentilhomme aux belles manières, le crâne étroit et allongé, altier, courtois, distrait, — d’autres, moins relevés, qui puaient le dollar : l’un venait d’arroser, à une conférence Genevoise du Désarmement, la presse d’alarme