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eût sacrifié, si ses explications ne l’eussent pas tranquillisé, sa situation chez Timon. Mais elle n’allait point plaider coupable, comme ce violent l’eût exigé : elle n’en avait aucune raison. Et lui, ne se souciait point de la raison, ni de la justice, ni d’aucune considération… Point d’égards ! Son emportement voulait qu’elle brisât, sans discussion, avec cet homme qu’il haïssait — et sur-le-champ — en ayant l’air de demander pardon ! Il lui envoya un ultimatum, en trois lignes impérieuses, sans un seul terme d’affection. Elle lut, elle soupira, et son sourire, à elle aussi, se fit dur. Elle avait, comme lui, son orgueil. Elle n’obéissait pas aux sommations. On obtenait tout d’elle, par le cœur ou la raison. Rien, par injonction. Elle referma la lettre et la laissa sans réponse. Et elle reprit sa marche dans la jungle, derrière le bouclier vivant du mammouth… « Quand tu seras d’humeur à causer poliment, mon petit Marc, je t’attendrai. Ne m’attends pas !… » Il faisait de même. Il attendait… — Vous pouvez attendre, tous les deux ! Les deux caboches sont aussi dures l’une que l’autre. Aucune des deux ne dirait :

— « Je me suis trompée. »

Qui n’attendait pas, c’était Timon. Il fallait le suivre. Pas de temps à perdre à de stériles débats de conscience ! On n’avait pas trop de tous ses sens, pour ne pas se laisser distancer. Marchons !… « Où me mènes-tu ? » — « Marche toujours ! Tu le verras »… Le sait-il lui-même ? Mais sans le savoir, il a un flair infaillible. Ce n’était pas le seul instinct. Timon avait emmagasiné une masse de leçons, et de l’expérience et des livres. Car il avait lu beaucoup plus qu’on ne croyait, et goulûment. Mais beaucoup plus encore que les livres, il avait absorbé les vivants. Il les possédait à fond. Du premier coup d’œil, il savait ce que chacun avait dans le ventre, le point faible, les limites — et le prix d’achat. Il n’avait aucun respect pour les animaux sans carapace,