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et aux arriérés de la politique leurs vieilles grues idéalistes. Elle faisait des affaires, indistinctement, avec l’ami, avec l’ennemi. Elle spéculait sur la guerre et sur la mort de l’une ou de l’autre nation — de la tienne — de la mienne… Telle, cette société des torpilles, où s’associaient les noms des princes de la guerre, des grands seigneurs de la diplomatie, hongrois, allemands, Bismarck, Hoyos, des grands barons des forges anglo-saxonnes, Armstrong, Whitehead, sous la présidence d’un amiral français et sous la coupe d’un Levantin. Quelques condottieri d’industries, quelques gangsters de la finance, avec, au cou, non pas la corde de la potence qui eût convenu, mais les cravates de tous les ordres de l’honneur du vieil Occident, jouaient leur jeu, non sans éclat, mais sans boussole, parmi les trusts et les holdings de l’Angleterre et de l’Amérique, dont la lourde main s’appesantissait sur l’un et l’autre continents. La puissance des proconsuls ou la roublardise des aventuriers n’excluait pas leur médiocrité. Ils dirigeaient beaucoup moins les forces énormes, entre-choquées ou associées, qu’ils n’étaient dirigés par elles et par leur mécanique mise en branle. Ce jeu aveugle de forces économiques n’en était que plus étouffant. Selon un rythme implacable de flux et de reflux, elles imposaient, alternativement, paix et guerre, fortune et ruine.

Timon étonnait Annette, par la clarté impitoyable avec laquelle il sondait les reins de ces maîtres du monde et la stérilité de leurs accouplements avec l’Argent. C’était surtout en lui le joueur qui n’avait pas assez de dédain pour l’incohérence d’un tel jeu. Quand on prétend à usurper le commandement, il faut savoir ce qu’on veut faire. Ils n’avaient rien en tête — hors commander — c’est-à-dire, dans le langage de ces sacs, amasser. Vienne donc qui leur crève la panse ! Bien que ses intérêts fussent de leur côté, et que tout, dans son destin, fît de lui un ennemi de