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que ce soit la sagesse qui l’étouffé ! Car elle n’a pas toujours visage humain. Ce sont souvent des Oktopus, des monstres informes anonymes, dont les mille bras fouillent, et qui lapent de leurs trompes aveugles, dans la nuit. Et les quelques individus, dont la personnalité, généralement peu désireuse de se mettre en lumière, surnage encore dans le vortex aux milliards, sont presque tous, aujourd’hui, des produits artificiels, sans racines et sans semence, sans ascendants, sans descendants, sans fils, sans associés, sans avenir. Comme eux et leurs œuvres sont destinés à disparaître, ils n’aspirent qu’à leur heure de surpuissance, — mais démesurée. Une frénésie les entraîne. Le sage « demain » n’intervient point dans leur destin, pour en assurer l’équilibre et la durée. Ils ont l’air de dire : — « Après moi, le Déluge ! » — Au moins, le roi cynique et lucide qui le disait, voyait venir le déluge, en calculant, avec une secrète volupté : — « Quand il viendra, je serai parti. » — Mais eux, les rois sans couronnes, ils ne voient rien que leur « aujourd’hui » ; et rien, après. Ils ouvriraient les digues au déluge, s’ils pensaient que sa venue leur apporterait des épaves à rafler, avant de les rouler, épaves, à leur tour. Le roi des huiles n’a-t-il pas, depuis dix ans, mené de front le double jeu d’ameuter le monde de la réaction contre la Révolution russe, et de tâcher de traiter, contre ce monde, avec elle ?

Timon révélait à Annette les nouvelles puissances qui gouvernent les peuples. Il parlait avec un mépris sans bornes des vieux politiciens de métier et du cercle étroit de passions, de préjugés et d’idées mortes où ils tournent aveuglément. En cela, Annette était d’accord avec lui. Les nouveaux maîtres réalisaient un progrès sur les anciens : ils répudiaient le nationalisme suranné, ils jetaient par-dessus bord son bagage écrasant et imbécile de vanités, de rancunes,