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de les leur enlever : ceux-là sortaient du fond des mers, que la violence du tourbillon avait soulevées ; ils étaient tels les bâtards sans lois de Shakespeare, qui foulent le monde sous leurs pieds. Bâtards de races, Levantins, Malais, faits de mixtures et de rinçures des quatre ou cinq continents : on avait peine à discerner de quelle patrie et de quels ventres, au juste, ils provignaient ; ils ne s’en étaient jamais souciés, ils n’en nageaient que mieux entre toutes les eaux ; et tant pis pour les aristocrates de la mâchoire, qui prétendaient choisir leur proie, dans le lit tout fait de leur vivier ! Les nouveaux brochets raflaient tout. Ou faire comme eux, ou être raflé. Timon n’eut pas de peine à se mettre au pas. Ce n’était point le souci de ses origines qui l’embarrassait ; le mot de patrie lui évoquait plutôt celui du père, dont il avait à se venger. Mais comme on ne peut pas, malgré l’esprit, faire qu’on ne soit pas de la chair d’une race, et que la sienne était, par la femme qui l’avait mis bas, comme la terre d’où elle et lui étaient sortis, truffée de la rude et fauve raillerie gauloise, dont l’odeur indélébile reste aux doigts, il se revanchait par la vigoureuse ironie, avec laquelle il se jugeait, lui et les autres de sa bande, jamais dupe, comme certains d’entre eux, des patenôtres et des pieux prétextes, ou religieux, ou moraux, ou sociaux, dont ces Tartuffes enveloppaient leurs rapines, impitoyable pour l’hypocrisie et — par moments — oui, plein de pitié (mais le mépris l’emportait) pour ces peuples exploités, et prêt à foncer, pour eux, contre les exploiteurs. Mais cela n’allait pas plus loin que des explosions et des éclats de langage furibonds, surtout aux heures où la boisson déchaînait les Titans refoulés sous la montagne et faisait fumer le cratère. Il savait bien que les Titans étaient vaincus, et il n’était pas de ces benêts qui disent : « Gloria victis ! » Il se contentait du : « Vae victoribus ! » car il les