Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/184

Cette page n’a pas encore été corrigée

toute sa vertu sur la seule carte de ce fauve attachement à la chair de sa chair — qui ne l’empêchait point de le brutaliser. Brutaliser, c’est aimer fort. Cette force n’est pas du goût des délicats. Mais Timon ne l’était — ne le fut — jamais. Il comprenait. Il comprenait qu’étant, enfant, le tout dernier degré de l’échelle, il était le seul sur lequel la mère, qui servait de marchepied aux autres, pouvait à son tour essuyer ses pieds. C’était dans l’ordre… Mais bon Dieu ! Quand il aurait grandi, il saurait bien essuyer les siens sur le dos de toute cette pile qui pesait sur eux deux.

Cela n’alla point sans sueur ! Il ne fallait point avoir le dégoût au nez. Car il connut d’abord l’humanité par les pieds. Petit valet d’hôtel borgne, mêlé, sans en avoir l’air, aux secrets des filles et des clients, il eut, un jour, une heure, la chance, qu’il saisit, de tenir en main les papiers compromettants oubliés par un voyageur qui venait de quitter l’hôtel. Moins d’une minute lui suffit pour évaluer obscurément leur importance, peser les chances pour ou contre, prendre parti. Il rattrapa l’individu à la gare ; et entre quatre yeux, sans un mot de trop — (pas question de chantage ! mais aucun doute à ce sujet : l’autre chanta…) l’homme recouvra ses papiers contre engagement pris, et tenu, sur l’heure, de s’attacher à son service le petit complice. Le garçon méfiant ne prit même point le temps de rentrer à l’hôtel pour ramasser ses frusques. Il monta avec l’autre dans le train qui partait.

C’était un courtier d’affaires internationales assez étranges, qui se dissimulaient sous le couvert d’un Gaudissart tout rond, tout franc. Il s’était fait le rabatteur d’une firme métallurgique pour des commandes d’artillerie, — jouant la navette entre les forges à canons et les cibles — c’est-à-dire les peuples, ou plutôt ceux qui s’en servent. Ses voyages le menaient assez fréquemment dans les Balkans et le Proche-Orient, partout