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pas une de ces dactylos perpétuellement à l’affût du maître, une de ces guetteuses de l’aventure. Il était sûr qu’elle était prête, d’une heure à l’autre, s’il disait un mot, à se lever de sa table, à glisser du doigt ses cheveux sous son bonnet, et à faire son salut du menton : — « Adieu, patron. » Et pour jamais. Rien ne la retenait. C’est bien pour cela qu’il y tenait. Une aide dont on a pesé, du premier regard, la valeur pratique, et qui, tout en sachant exactement toucher son dû — (si elle ne l’eût pas su, il l’eût méprisée) — joignait à la ponctualité du service l’indifférence la plus complète — (qui est le sommet du désintéressement ) — était trop rare, pour qu’il eût la sottise de s’en priver. Mais elle, qu’est-ce qui la tenait ? Était-ce la place seulement et le salaire ? — Il y avait lui. Au bout du compte, il l’intéressait. Sans nul attrait, rien qui les lie, ils sentaient tous les deux qu’ils n’étaient pas des animaux ordinaires. Ils ne pensaient de même sur aucun point, mais encore moins pensaient-ils comme tout le monde. Chacun des deux s’était fait son moi, il ne l’avait pas ramassé aux laissés-pour-compte ; ç’avait été coupé dans sa propre étoffe, et par des ciseaux qui coupaient rade, mais juste, — par l’expérience personnelle. Si différentes que fussent la coupe et l’étoffe, ils se reconnaissaient tous les deux compagnons au métier. Entre eux, on pouvait parler à mi-mot. On parlait aussi à mots entiers.

Timon en avait plus qu’assez de la pleutrerie de tous ces dos qui se courbaient sous la peur de ses coups de gueule, de tous ces culs qui s’offraient à son pied. Enfin un homme — (c’était une femme : en allemand, il y a un seul mot pour dire celui ou celle qui est de la grande espèce) — enfin un visage humain, qui vous regarde en face et qui dit : — « Non ! » — et qui vous inflige tranquillement sa critique ou son blâme motivé — et qui a raison… (On n’en convient pas, mais on en profite !…) Ça fait du bien. C’est la terre ferme.