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à l’attaque et à la réponse… le bras se détend comme un ressort, et un bon poing bien serré lui applique un crochet droit sous le menton… Timon riait : — « J’encaisse… » Elle encaissait, à son tour. Le soir, elle rentrait moulue… Et il faudra, demain, recommencer ?… Elle recommençait, le lendemain. Au fond, ça lui faisait du bien. Cette activité incessante de l’esprit en éveil lui était une gymnastique, qui dérouillait les rouages et combattait l’encrassement du cerveau par l’âge. Et le péril du poste aiguisait son goût de la vie et ses sens : ils étaient plus vifs et plus sûrs. Elle ne se plaignait pas de ses peines.

L’homme dangereux qu’elle servait la payait. Pas en argent seulement : (il payait bien !) Mais en confiance. Très vite, il se laissa aller à d’extraordinaires confidences. Il lui en avait, au reste, soutiré aussi certaines, dont elle était à l’ordinaire avare ; et le plus fort, elle s’était laissé faire, sans s’offusquer des demandes indiscrètes. Avec un animal de cette espèce, rien à cacher — (que, naturellement, ce qui n’est pas de l’animal : pour une Annette, l’essentiel.) — Pour tout le reste, qu’importait ? Pudeur était un mot, pour lui, dénué de sens. Franc parler, entre les deux.

Pour quiconque les entendait, — pour toutes ces oreilles du journal qui attrapaient des bribes de leurs propos, — Annette était la maîtresse du patron. Et ils rageaient, en admirant la mâtine.

Or, ce qui était, justement, certain pour Annette comme pour Timon, c’est que la coucherie n’entrait pas en ligne de compte. Pas question de cela ! — « Et Dieu merci ! » pensait Annette. — « Et que le diable !… » eût pensé Timon. Ni l’un ni l’autre n’était tenté. Timon courait plus jeune gibier. Et Annette en avait assez d’être courue… Non, non, ce qui justement les associait, c’était cette tacite sécurité qu’en ce qui concerne l’animal, il n’y avait point à se méfier. La force de Annette venait de là que Timon n’y voyait