Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/175

Cette page n’a pas encore été corrigée

Elle ne monta pas une marche plus vite que l’autre. Elle hésita une seconde au sommet, et elle entra.

Timon, assis derrière sa table, le corps penché en avant, les deux gros poings posés sur les papiers, la regardait avancer, faisant les yeux du Condottiere d’Antonello, ou du Duce. Elle avança. Debout et droite, elle s’arrêta, à trois pas de la table. Il ricana :

— « Alors, c’est toi ? Qui t’a chargée de blanchir mes draps ? »

— « Ils ne sont pas blancs, je vous promets ! J’ai seulement reprisé les déchirures. »

Les terribles poings cognèrent la table si violemment qu’un jet d’encre de l’encrier vint asperger la robe de Annette. Et sur les poings appuyés. Timon se souleva, comme s’il allait se lancer sur elle :

— « Et tu te fous de moi !… »

Annette dit froidement :

— « Pardon ! Voulez— vous me passer le rouleau de papier buvard ? »

Il le lui passa machinalement ; leurs deux visages étaient si rapprochés qu’elle sentit contre sa joue le souffle furieux. Elle évita de le regarder. Elle était occupée à étancher avec le rouleau la tache d’encre. Elle dit, glaciale :

— « Allons… Soyez donc plus maître de vous ! »

Il suffoqua. Il se balança encore quelques secondes sur ses deux poings, et puis il se rassit pesamment. Annette achevait son nettoyage. Il la regardait faire. Elle reposa le rouleau sur la table.

— « Il y avait des trous dans vos draps, dit-elle. J’ai cru bien faire, en les rapiéçant. J’ai peut-être eu tort. C’est une manie de femme : elle ne peut pas voir du linge déchiré, sans vouloir le raccommoder. Si j’ai mal fait, je le regrette, et je vous rends mon tablier. Mais est-il utile que vous étaliez à toute votre domesticité — (elle désignait, par-dessus son épaule, les bureaux) — votre linge sale et troué ? »