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dessous, le cœur de la femme. Les uns et l’autre, Annette les avait fermes. — « Présentez armes !… » D’un muet accord, on l’accepta. On s’octroya bien le luxe supplémentaire de débiter à pleine voix une panerée d’énormités, afin d’éprouver ses oreilles ; mais les bonnes oreilles de Bourgogne, qui n’en perdirent rien, n’en furent ni plus ni moins rouges aux deux bouts : — « Allez ! mes singes !… Vous n’êtes pas très inventifs !… Vous n’avez rien de plus à montrer ? … Alors, la paix ! »

Annette riait, au fond, sans sourciller, faisant danser ses doigts sur sa machine, mais sans un zèle exagéré. Elle ne se croyait pas tenue de prendre un air crispé, pour attester son application au travail. Le vieux sous-chef, qui la guettait de côté, comme un brochet, et relut, après, sa copie, ne jugea pas non plus nécessaire de prolonger les commentaires ; il dit ; — « Ça va. » — Tous le pensèrent. Ce fut réglé.

Restait le maître. Il était parti pour quelques jours, dans une de ses expéditions mystérieuses, où il brassait des peuples en affaires, — (aussi des femmes, quelquefois : car quand l’une d’elles le tenait, il n’avait de cesse qu’il ne la tînt : il partait en chasse ; plus rien à faire jusqu’à ce qu’il fût repu !) Il fut absent, cette fois, une quinzaine. Annette eut le temps de s’assurer en selle. Elle eut même le temps d’oublier l’existence du patron. Quand il revint, elle ne s’en aperçut qu’après qu’il était déjà ressorti. Il avait traversé toute la salle, mais sans parler, d’un pas lourd, le front chargé, l’œil mauvais. Sur son passage, les employés se levaient. Annette, lisant et pianotant, allait son chemin, sans regarder à droite, à gauche de son papier. Tout en suivant exactement chacun des mots, elle suivait, au dedans, des ressouvenirs du passé, qui l’égayaient. Et elle souriait. Elle n’échappa point à l’œil du maître. Son regard épais pesa sur elle, de la nuque à la croupe. Elle ne