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une cage aux singes. On y est né, on ne peut pas s’en évader. Ceux-ci, ceux-là, toutes leurs grimaces, n’ont rien de nouveau pour m’effarer. Et quant au grand orang-outang… Nous verrons bien ! Je suis curieuse de l’affronter… »

Oui, la curiosité… Si Annette eût été Eve, elle n’eût pas hésité à cueillir la pomme. Elle n’eût pas eu la sournoiserie de la faire cueillir à Adam… — « Je sais, je risque. Et je risque, pour mieux savoir. L’ancienne morale recommandait de fuir les risques. Mais la nouvelle nous a appris que qui ne risque rien, n’a rien — n’est rien. Si je ne suis, je serai. »

Était-ce un vice, d’être curieuse ? — Peut-être, mais chez Annette c’était un vice courageux. Car la curiosité s’accompagnait chez elle d’un défi jeté à l’inconnu qu’elle allait chercher. Elle avait un peu l’âme du Chevalier errant. Faute de géants, elle affrontait les singes. Et puis, son excuse avec elle-même (le maigre Don Quichotte ne l’avait pas), c’était celle que ses belles dents lui donnaient : — manger. « Singes, nourrissez-moi ! »

Elle assura son port de tête et sa démarche, quand elle fit sa première entrée. Elle savait bien que sa situation aux bureaux du journal serait, non pas celle qu’on lui ferait, mais qu’elle se ferait, et dès la première minute. Elle était froide, souriante, et claire, en répondant aux questions. Pas un mot de trop ; mais en vingt mots, l’énoncé net de ses références et de ses connaissances, — (de celles utiles à sa tâche : les autres, on fait mieux de les garder pour soi ; l’ignorant ne vous en sait pas gré.) — Puis, sans se soucier des regards et des propos qui l’évaluaient, ni du ton de gouaille par lequel on cherchait à l’interloquer, elle se mit à l’ouvrage et l’exécuta dextrement.

Ils n’étaient pas des imbéciles ! L’homme de Paris a le regard bon. Il a tôt fait de tâter les seins et,