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d’horreur ou de fureur ou de peur hallucinées ? Ils ne voyaient que le cadavre sous la prairie. Ne le voyait-elle pas aussi ? — Elle le voyait. Elle voyait et le dessus et le dessous. Quoi ? c’est dans l’ordre ! Beaucoup de mort, beaucoup de vie. Et l’une est fille de l’autre… Alors, la guerre, ne la condamnait-elle plus ? — Elle était toute prête à recommencer sa lutte contre elle et contre les misérables qui en avaient fait leur jeu affreux de fanatisme, de vanité et de profits… Comment donc arrangeait-elle tout cela ensemble ?… Ne lui demandez pas d’expliquer ! Sa nature le sait, cette nature de la femme, profonde, aveugle et sûre, qui participe aux grandes lois de toute la nature. Mais son intelligence ne le sait pas, — si ce n’est qu’elle vient d’être traversée par quelques lueurs : mais ces lueurs ont été trop brèves pour qu’elle puisse encore en distinguer le sens clair… [1] Oui, elle lutte, comme la nature, passionnément, contre tout ce qui tue. Mais elle brûle passionnément, comme la nature, pour tout ce qui vit, de tout ce qui vit, de toutes ces flammes de vie nouvelle qui sortent du champ des morts. Et l’harmonie de la mort et de la vie, dont sa raison n’est pas capable de formuler les lois, ses yeux, ses mains, ses mouvements, le cours naturel de sa vie, en réalisent tout simplement l’accord.

Elle aime à voir et à vivre. Et dans la vie de cette prairie nouvelle qui pousse sur le sang des morts — ( « Et moi aussi, suis-je pas morte ? Et je ressuscite… » ) — tout l’intéresse, même le pire. La Bourguignonne n’a point la bouche petite. Elle ne fait pas la dégoûtée. Droite et solide, elle est d’aplomb ; cela va de soi ! Quand on est saine et de bon plant, ce n’est pas la peine d’en parler. Mais cela ne donne

  1. Le lecteur retrouvera, dans le volume suivant, le ressouvenir, dans l’esprit de Annette, de son passage en Italie et des rencontres qu’elle y a faites, à son retour de Roumanie. Il n’est pas temps de les conter : leur trace en elle semble effacée. Les images dorment. Elles se réveilleront.