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des chocs, et ils avaient réagi différemment. Ils étaient, d’ailleurs, tous les deux, énervés par la longue veille. Annette dissimulait mal l’impatience un peu fâchée de l’attente et des soupçons que lui causait cette vie nocturne de Marc ; et Marc fut irrité de le sentir, et qu’elle tombât à l’improviste sur sa déroute, dont il n’était pas sûr que Sainte-Luce n’eût pas trahi l’humiliation. Il demanda, d’un ton plus sec qu’affectueux, pourquoi elle ne s’était pas couchée. Elle riposta, avec plus de douceur qu’il n’y en avait peut-être dans l’intention :

— « Et toi, mon petit ? »

Il ne tenait qu’à lui de répondre qu’il ne venait pas de s’amuser ; mais il était trop fier pour s’expliquer ; et elle avait l’air de lui demander des comptes : il n’admettait pas qu’il en dût à qui que ce fût. Il ne daigna pas relever la question. Annette l’examinait, son teint fané, ses traits meurtris, des rides précoces, qui lui étaient nouvelles, aux coins du nez, où l’usure et le dégoût étaient inscrits. Son cœur se serrait, en soupçonnant une vie de désordres et leur flétrissure dans l’esprit. — Il la laissait imaginer ce qu’il lui plaisait. L’examen qu’il faisait d’elle ne le contentait pas davantage. Elle avait l’air trop bien portante, trop bien nourrie, le teint fleuri, et, dans ses yeux, dans ses mouvements, une joie de vivre, qui éclatait, à son insu. On n’eût pas dit qu’elle sortait des marécages de Roumanie et d’une mauvaise grippe. Le sang aux joues était trompeur. Elle traînait encore un reliquat de congestion. Mais ce qui ne trompait pas, en définitive, c’était que malgré toutes les mésaventures, elle ne se trouvait pas du tout mal de vivre. Non, en vérité ! elle y prenait goût, en vieillissant. L’incohérence, l’imprévu, les catastrophes mêmes et l’incertitude du lendemain, ajoutaient à la saveur du repas. C’était diablement plus appétissant que les menus insipides de sa jeunesse, la vie bourgeoise de France,