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s’enliser pour la sauver ; il réussit à l’empoigner aux aisselles, en fourrageant dans la vase, et il l’extirpa de sa gaine. Il la ramena au rivage. Elle était boueuse et noire, du talon au front ; mais elle conservait son intrépidité. Elle le défiait. Il n’eut pas envie de relever le défi. Il l’admirait. Il lui parla avec respect, avec regrets, de l’avoir forcée à cette fuite. Il implora son pardon, la suppliant de revenir au château. Il s’exprimait avec une humilité et une emphase oratoires, mais sincères, qui ramenèrent un sourire sur le visage de Annette durci par la rancune et par le masque de boue craquelée. Elle dit :

— « Bon ! passons l’éponge ! Nous en avons besoin tous les deux… Mais quant à revenir, non ! Il n’est plus question… Je pars. » |

Il prit une mine consternée, mais il ne protesta que pour la forme ; il n’était pas trop étonné. Il s’attendait si bien à la décision qu’il avait pris dans son auto la valise de Anette, et il y avait ramassé les effets qu’elle avait laissés. Il lui offrit de la conduire à la prochaine gare du grand express international ; il lui demandait seulement, de l’air piteux d’un vieux collégien pris en faute, de vouloir bien lui sauver la mise, en écrivant une lettre au château, qui expliquerait son départ précipité par des nouvelles urgentes de son fils la rappelant à Paris. Elle y consentit, et elle monta dans l’auto.

Ils firent halte au premier hameau, dans la chaumière la moins sordide, afin que Annette pût changer de linge et se laver. On fit bouillir l’eau dans un chaudron, et Annette procéda à une lessive complète, tandis qu’après expulsion de la marmaille avec les maîtres de céans, Ferdinand, pudique et farouche, le dos tourné, montait la garde à la porte. Annette, nue, claquant des dents, la peau rougie par les frictions, eut un accès de fou rire, en se rappelant le duc dont parle Saint-Simon, se promenant l’épée à la