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lui semblait une loi naturelle, dont le plus fort (c’est à savoir lui) usait, devait user à son profit. « Tu tiens le cheval entre tes cuisses. Quand il regimbe, déchire lui la bouche avec le mors !… » Annette avait saisi le duel silencieux ; et — (pour qui la connaît il est inutile de le dire) — c’était sur le cheval qu’elle misait. Quand se désemboîtera-t-il le dos de la pince ?… Elle ne regrettait pas d’être restée. Il faisait bon reprendre contact avec les forces élémentaires : cette vieille terre, balayée par le vent d’hiver, où les rafales soulevaient en tourbillons de neige les batailles de Marc-Aurèle et celles à venir, qui sommeillaient au cœur des Gètes.

Mais ce climat rude et ces courses au grand air lui rendaient une vigueur et un éclat, dont elle eût été sage d’amortir l’insolente allégresse : car c’était, sans qu’elle s’en avisât, un appât jeté sous le nez du brochet. Elle était toute à la flambée de son arrière-automne ; en pleine santé et joie organique, l’esprit tranquille, pour le moment, au sujet de Marc qu’elle savait alors sous l’aile duveteuse de Sylvie. Elle prit part avec entrain à des réjouissances populaires, où les jeunes filles Botilescu l’habillèrent et s’habillèrent de lourds et somptueux costumes paysans : (car la brutalité des rapports entre maîtres et serviteurs n’excluait pas la familiarité) ; mais la comparaison des costumées ne fut pas à l’avantage des petites patronnes ; et les jeunes gars n’hésitèrent point : Annette dansa avec les farauds, avec les coqs de villages. Elle ne vit pas la colère jalouse, aux museaux froncés des chattes ; pas davantage aux yeux allumés du patron elle ne prit garde, jusqu’au moment où, l’arrachant à un danseur du village, il l’empoigna à son tour. Alors, elle se dit lasse et, la danse finie, elle se retira. Les jours suivants, elle revint à la prudence. L’alerte parut sans lendemain. Et de nouveau, l’on s’assoupit.