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du papa. La plus jeune n’y voyait pas malice : c’était pour elle un bon tour. Même la seconde, plus avertie, ne songeait qu’à l’air vexé de la gouvernante, bien attrapée. Mais l’aînée, Stefanica, savait ce qu’elle faisait ; et elle trouvait double sujet de délectation à se venger de Anette, qu’elle aimait, en la livrant aux bras d’un père, dont les exploits lui inspiraient peut-être des sentiments défendus. Elle gardait pour soi ses sentiments et elle ne s’avouait pas clairement son jeu, tout en s’en pourléchant par avance. Annette, qui en avait eu deux ou trois fois des lueurs, se refusait à y croire. Mais elle veillait.

Un soir, au moment de se coucher, elle s’aperçut que la clef de sa chambre n’était plus à la serrure. Un quart d’heure avant, elle l’y avait vue ; et les fillettes étaient avec elle dans sa chambre. Elles l’étouffaient de leurs embrassements, en lui souhaitant le bonsoir. Elle n’eut point de doute. Le poil de la louve se hérissa. Elle se dit bien : — « Je suis stupide. Annette, ma fille, tu romantises. Tu es trop nerveuse. La clef est tombée. Ou quand bien même elles l’auraient prise, ces enfants ont voulu me jouer une niche. Il n’y a qu’à ne point s’en occuper. » — Elle se coucha. Mais trois minutes après, elle sauta du lit. Elle entendait les rires étouffés des deux aînées qui couchaient dans la chambre à côté. Elle alla chez elles, pieds nus, en chemise de nuit. Quand elle entra, la bougie précipitamment s’éteignit. Elle ralluma. Elles faisaient semblant de dormir. Et quand Annette les secoua, d’une voix fâchée, elles jouèrent la comédie du réveil, les yeux innocents, jurant leurs grands dieux qu’elles ne comprenaient pas ce qu’on leur voulait : elles ne savaient rien. Annette ne perdit point son temps à discuter. Elle dit froidement à Stefanica :

— « Sors de ton lit ! Je reste ici. Va prendre ma place dans le mien ».

La jeune fille sursauta ; elle fit :