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pour des jours, des jours, des nuits, des nuits, à s’exclamer, à s’embrasser, à exploser. Portes ouvertes. Tout s’étalait. Tous les secrets. Des panerées d’intrigues, de flirts, et davantage, se déversaient, à l’œil nu, dans chaque pièce, dans les couloirs. Entre hommes et femmes, peu d’entretiens qui ne tournassent autour du feu dans la lanterne, rouge allumée, et ne s’y heurtassent. Annette, qui se croyait tenue de surveiller ses pupilles, avait beaucoup à faire, dans cette atmosphère surchauffée. Elle n’était pas elle-même à l’abri des poursuites : elle s’en aperçut, avec agacement, mais peut-être pas sans un ironique contentement — (hé hé ! à quarante-trois ans !…) Sa qualité de Parisienne la désignait, malgré son âge, aux attentions et aux assauts. Et Ferdinand Botilescu, qui l’avait, au cours du voyage, assommée de ses pesantes galanteries, commença à l’inquiéter un peu.

Toutefois, aussi longtemps qu’on demeura dans la ville, le risque n’était pas grand : le terrain de chasse était assez giboyeux, pour occuper les Nemrods ; et Ferdinand avait d’autres chattes à peloter — sans parler de la politique, et des affaires, et de la chasse aux honneurs et à l’argent.

Mais après deux mois, on se rendit dans un domaine des Botilescu : des terres plates isolées, au milieu des étangs et des forêts, dans la plaine valaque, que, tour à tour, brûlent le soleil et le gel. C’était l’automne. D’épais brouillards tramaient sur les marais, où jacassaient les poules d’eau. La lourde auto s’embourbait dans les ornières des chemins creux, en éclaboussant et secouant rudement les cinq femmes et leur seigneur maître. Mais Annette était la seule, dont les reins courbaturés geignaient ; et elle admirait l’endurance des croupes roumaines : elles ne semblaient point s’en soucier, elles étaient d’airain, comme les gosiers des demoiselles, qui ne cessaient pas un instant de parler.