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— « Si je te sers, cela m’aidera. »

— « On t’aidera. »

Elle le présenta à la gérante, qu’elle connaissait ; et Marc se mit, le jour même, à l’ouvrage, aidé du regard et des conseils de Ruche. Elle fit mieux : après que le flot des clients fut parti, elle poussa Marc vers un coin de table, et elle le servit à son tour. Après, tout devenait aisé. Quant au logement, elle lui avança le loyer d’une chambre dans un petit hôtel du quartier.

Il eût semblé qu’ensuite ils dussent se revoir souvent. Il n’en fut rien. Les premiers temps, Marc alla le soir, deux ou trois fois, frapper à la porte de Ruche : les deux ou trois fois, elle était sortie. Ou bien, était-elle là, accroupie dans un coin, la cigarette au bec, ses deux pieds dans ses mains ? L’étrange fille avait sa vie à soi, qu’elle ne livrait à aucun ; et l’élan de sympathie qui l’avait, une nuit, rapprochée de Marc, n’ouvrait à celui-ci aucun accès privilégié. C’eût été plutôt le contraire ; l’instinct de Ruche eût dit :

— « Aha ! il a tiré le loquet ? Mettons alors le verrou ! »…

Aucun plaisir pour elle ne valait l’indépendance.. Belle indépendance !… Pour ce qu’elle en faisait !… Elle se bafouait, en se pinçant les orteils… « Niquedouille ! … Mais soit ! Niquedouille suis et veux être. Mes orteils sont à moi. À moi ma peau. Et tout mon moi. Je m’ai, du haut en bas. Et personne ne m’a… Attends un peu, ma fille ! Rira bien… Eh ! On rira… Parions !… Je parie… »

C’était un de ses jeux : parier contre elle-même. On est bien sûr de gagner ! Surtout, lorsqu’on triche… Il n’y a pas à se gêner !

Marc eût été capable de comprendre son instinct de défense… « Je me garde. Garde-toi !… » Mais il avait trop à faire de débrouiller ses propres secrets, pour être curieux de ceux de Ruche. Ses préjugés