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manda, ce qu’il répondit. Mais il n’y eut pas besoin de beaucoup de mots pour qu’elle comprît. Et sans plus lui demander son avis, elle l’emmena. Il ne discutait pas. Il se laissa traîner, sans échanger une parole, jusqu’à la porte… Ah ! sa maison…

— « Montez !… »

Il monta.

— « Entrez ! »

Il entra… La tiédeur de la chambre, la fatigue, le jeûne… Il fut étourdi… Ruche le poussa dans l’unique fauteuil. Il sentit qu’elle lui déboutonnait son manteau gorgé d’eau et qu’elle lui tirait les bras des manches. Il entendait qu’elle parlait, mais sans comprendre, comme un murmure qui se confondait avec celui de la bouillotte sur le réchaud. Elle allait et venait, il n’essayait pas de suivre ses mouvements… Ses yeux se fermaient… Il les rouvrit, pour un moment : il avait contre ses lèvres une main qui lui entonnait dans le goulot une gorgée chaude, réconfortante ; et une voix bonne lui disait : — « Bois, mon petit !… » Il n’avait pas la force de regarder plus haut que cette main, mais l’image lui en demeura, fixée. Longtemps après, quand il repensait à la Bonne Samaritaine, ce n’était point son visage, mais sa main qu’il voyait. Dans cet état de demi-conscience, il lui semblait que c’était cette main qui parlait… Après que le flot de lait eut coulé, sa tête glissa contre le dossier, elle pendait, le cou meurtri, mais il n’eût pas fait un mouvement, il avait mal à tout le dehors, mais au dedans cette tiédeur… Les bonnes mains lui relevaient la tête, qui retombait… Encore une lueur de conscience, puis il plongea…

Quand il remonta à la surface, quelques heures après, il était étendu dans la nuit. Au plafond de la chambre filtrait dans l’ombre une pâle lueur de la rue. Il cherchait à comprendre, immobile, sans bruit, méfiant comme un animal qui vient de s’éveiller dans la forêt. Il tâtait lentement des jambes autour de lui.