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sur ce terrain de chasse réservé, où il est chasseur à son tour, et, de son affût, voit passer tous les gibiers, gros et menus, poil et plumes — il pige même du bec quelques becs de grives, au passage ; mais c’est dangereux : à ces moments, son œil chavire, il risque d’être pigé, à son tour… Il le sera… Il ne le sera pas !… Il s’y entête. Fuir, ce serait avouer sa défaite… Il reste et, chaque jour, sa carnassière d’expériences se remplit. Mais il n’en est pas rendu plus sage. Il a les yeux plus ivres. Et sous le crâne, un tourbillon… Tout ce qu’on a cru, ou bien non cru, mais accepté pour pouvoir vivre, tous les supports de la vie sociale, tout s’effondre. Ah ! toute la morale d’avant-hier — (hier, n’en parlons pas ! c’était la guerre !) — qu’est-ce qui en reste ? Les vieux péchés, les préjugés, les contraintes mêmes de la loi, toujours en retard sur la marche de la société… ce serait trop peu de dire qu’on les foule aux pieds ! On n’a même plus d’effort à faire. On marche dessus, sans y penser… Est-ce l’écroulement de la maison des hommes ? Le contrat social que l’on déchire ? Et le retour à la forêt ?… Non, c’est l’échéance du contrat. Avant de renouveler le bail, on y rature, on y ajoute des articles. Le vieux logis, étroit, malsain, tombe en ruines. Il faut le refaire et l’agrandir. L’humanité, malade, dans ces crises d’âge, a besoin de rajeunir son sang vicié et appauvri, en se retrempant dans ses réserves de redoutables énergies animales. Les pères douillets et les poltrons pleurnichent : — « Tout est perdu !… » Tout est sauvé, ou le sera. Mais rien pour rien ! Il faut y mettre le prix…

Marc est tout prêt à mettre le prix. Mais n’est-ce pas plus qu’il n’a ? Son intelligence est brave, trop brave, elle l’entraîne au delà de ce que le reste peut tenir. Il a beau voir, juger et comprendre, sans faiblesse : le cerveau n’est pas un empyrée, il tient au ventre par tous ses sucs ; il est trahi, il est livré, et il se livre à l’ennemi…

En attendant, il se défend. Cerveau et cœur sont