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qu’il en a fallu, pour qui se voit pris au filet, et n’est point dupe de qui le tient !

— S’il en est ainsi, comment avez-vous pu vous mêler au combat ?

— Je pourrais vous répondre : « On ne me laissait pas le choix… » Mais si on me l’eût laissé, c’eût été pareil : j’aurais choisi le filet. Je ne veux point me flatter : ce que je pense aujourd’hui, je ne le pensais point alors. Ce don fâcheux que j’ai d’être poreux, qui fait que filtrent en moi les âmes du dehors, m’a trop souvent fait oublier la mienne. On est Français, on vit ensemble, on est curieux les uns des autres, on s’écoute penser tout haut, on pense à deux, à vingt, à mille ; et l’on n’est plus qu’à tout écho une caisse de résonance. Vous ne pouvez pas, nul ne pourra imaginer le merveilleux enthousiasme qui nous souleva, aux premiers jours… Le Chant du Départ. Il ne sortait pas de nous. Nous sortions de lui. Il planait, comme à l’Étoile, l’ange gueulard de Rude. Mais cent fois plus beau ; et l’on aurait donné sa peau, pour la frotter contre la sienne. Il nous enveloppait de ses ailes. On ne marchait pas, on était porté, on allait, planant, délivrer le monde. C’était l’ivresse, comme en amour, avant l’étreinte… Quelle étreinte ! Effroyable duperie ! … Tout est duperie. L’amour aussi. Il nous sacrifie. À ceux qui viendront : à l’avenir. Mais