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longtemps à ne pas dormir, pour jouir du sommeil de l’autre ; et le feu de son amour, refoulé dans son cœur, masqué comme une lueur de bougie derrière la main, afin de ne pas réveiller le petit dormeur, brûlait d’une longue flamme silencieuse, qui montait vers le ciel. Elle priait… Marie à la crèche… Elle priait l’enfant… Ce furent encore de beaux mois rayonnants. — Pourtant pas aussi purs que ceux de l’année précédente. Moins limpides D’une joie plus exaltée, excessive, un peu exagérée.

Une nature vigoureuse et saine, comme celle d’Annette, doit créer, perpétuellement créer, créer de tout son être, du corps et de l’esprit. Créer, ou bien couver la création à venir. C’est une nécessité ; et le bonheur n’est que dans son assouvissement. Chaque période créatrice a son champ limité ; et sa force ascensionnelle suit une trajectoire, qui forcément retombe. Annette avait dépassé le sommet de la courbe. — Cependant, l’élan créateur persiste chez la mère, encore assez longtemps après l’enfantement. L’allaitement prolonge la transfusion du sang ; et des liens invisibles maintiennent les deux corps en communication. L’abondance créatrice de l’âme de l’enfant compense l’appauvrissement de l’âme de la mère. La rivière qui décroît cherche à s’alimenter du ruisseau qui déborde. Elle se fait torrentueuse, pour n’être qu’un avec le petit torrent. Mais celui-ci la dépasse, et elle reste en arrière. L’enfant déjà s’éloigne. Annette avait peine à le suivre.

Il ne savait pas encore bâtir avec sa langue une phrase tout entière que déjà il avait ses cachettes de pensée, ses tiroirs dont il gardait la clef. Dieu sait ce qu’il y enfouissait ! Ses réflexions sur les gens, des bribes de raisonnements, un bric-à-brac d’images, de sensations, de mots joujoux, dont le son l’amuse, sans qu’il sache ce qu’ils disent, un monologue chantonnant, qui n’a ni suite, ni fin, ni commencement. Il avait parfaitement conscience,