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Lorsqu’elle rouvrit les yeux, — (Quand était-ce ? Quelques secondes ?… Un gouffre…) — elle avait la tête renversée en arrière, comme sur un billot, le cou posé sur l’appui de la fenêtre ; le corps était resté enclavé dans l’angle étroit du mur. Et en rouvrant les yeux, elle vit, au-dessus des toits sombres dans la nuit de juillet, les étoiles… L’une la transperçait de son divin regard…

Un silence inouï, immense comme une plaine… Les voitures cependant roulaient en bas, dans la rue ; des verres dans le buffet vibraient… Elle n’entendait pas… Suspendue entre ciel et terre… « Un vol sans bruit… » … « Elle n’achevait pas de se réveiller… »

Elle retardait le moment. Elle avait peur de retrouver ce qu’elle avait laissé — l’horrible lassitude, le tourment, le piège d’aimer : amour, maternité, l’égoïsme acharné, — celui de la nature, qui se soucie bien de mes peines ! qui me guette, au réveil, pour me broyer le cœur… Ne plus me réveiller !…

Elle se réveilla pourtant. — Et elle vit que l’ennemi n’était plus là. Le désespoir n’était plus… N’était plus ?… Si, il était encore. Mais n’était plus en elle. Elle le voyait, du dehors. Elle l’entendait bruire… magie !… Une musique terrible, qui ouvrait des espaces inconnus… Paralysée, Annette écoutait chanter — comme si, dans la chambre, une invisible main les eût évoqués — les sanglots, le Fatum d’un Prélude de Chopin. Son cœur était inondé d’une joie jamais goûtée. Rien de commun que le nom, entre la pauvre joie de la vie quotidienne,