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puisqu’il lui avait fait le sacrifice de son suicide… Il savait bien qu’il n’en avait plus la moindre envie ; mais il avait besoin de se venger de ce qu’il avait souffert. Quand on ne peut sur les autres, on se venge sur sa mère : elle est toujours là, sous votre main ; et elle ne réplique pas.

Ainsi, ils restaient murés, chacun pris par sa peine. Et Marc à qui sa tristesse commençait à peser, sentait croître son animosité contre celle d’Annette. Il fut soulagé, en entendant le timbre de la porte annoncer — (il reconnut sa façon de sonner) — tante Sylvie. Elle venait, pour l’emmener à un spectacle d’Isadora : car elle s’était brusquement emballée pour la danse. En dépit du devoir, auquel il se jugeait astreint, de garder dans son âme, et aussi sur son visage, — (et d’abord sur son visage) — la fatale empreinte de l’épreuve qu’il avait traversée, il ne put déguiser sa joie de s’échapper. Il courut s’habiller, laissant la porte ouverte, pour ne rien perdre des gais propos de la tante, qui, à peine arrivée, entamait une histoire frivole. Et Annette qui se forçait à sourire, quand elle était navrée, pensait :

— Se peut-il que ce soit la même femme qui hurlait, il y a un an, sur le corps de son enfant ? Est-ce qu’elle a oublié ?

Et elle n’enviait pas cette élasticité. Mais le rire de son fils qui, de l’autre chambre, répondait aux saillies de Sylvie, n’attestait pas un moindre don d’oubli. Et Annette, qui en souffrait comme d’une absence de cœur, ignorait qu’elle possédait aussi ce don merveilleux et cruel. Quand Marc reparut, rayonnant, prêt à partir, elle ne put commander assez à son visage pour qu’il ne marquât point une dure désapprobation. Marc en fut blessé, plus que d’une parole de blâme. Il se vengea, en outrant sa gaieté. Il se montra bruyant et si pressé de partir qu’il oublia de dire bonsoir à sa mère. Il y songea,