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ne les dépassait pas impunément… La vie, quelle chose fragile ! À d’autres moments, cette constatation ne l’eût pas affectée. Mais à présent que sa vie était double, et que sur cette chose fragile une autre reposait, encore plus fragile… Dieu ! que se passerait-il, si elle disparaissait ? Dans ses nuits sans sommeil, Annette avait bien des fois remâché cette crainte… Elle écoutait le sommeil de l’enfant ; et le moindre changement dans sa respiration, un souffle un peu plus vif, une plainte, ou le silence, arrêtaient les battements de son cœur. Et dès que l’inquiétude fut entrée, elle prit logement. Annette ne connut plus le calme auguste et léger des heures de la nuit, où le corps sans mouvement et l’âme sans pensée, qui rêvent sans dormir, flottent comme des fleurs d’eau, immobiles, sur l’étang nocturne. Élyséenne quiétude, dont la grâce accordée n’est sentie par le cœur qu’après qu’il l’a perdue… Désormais, chaque moment tient en méfiance l’âme aux aguets. Dans le plus sûr se dissimule un tremblement…

Sylvie ne s’y trompa point. Sous le sourire vaillant d’Annette, plaisantant sa faiblesse, elle perçut le désarroi physique et le besoin animal de se rapprocher du troupeau. Elle décida qu’Annette devait quitter sa retraite et revenir s’installer, à quelques heures de Paris, dans une maison de campagne, où Sylvie pourrait la voir presque chaque jour, sans que le bruit de son retour se répandît. Annette ne fit pas de difficultés pour revenir, mais franchement, dans sa maison, à Paris. Elle n’admit aucune objection. En vain, Sylvie lui remontra que ce n’était point sage, que sa tranquillité risquait d’être troublée. Annette s’entêta. Son orgueil ne supportait pas de paraître fuir devant l’opinion. Pendant l’année heureuse où elle couvait l’enfant, elle ne songeait pas à l’opinion. Elle vivait avec le bonheur en tête à tête ; point de place pour un tiers. Depuis quelques mois, son bonheur n’était pas moindre ; mais elle eût désiré en faire