Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 2.djvu/325

Cette page n’a pas encore été corrigée

Mais de moins et de plus, d’incomparablement plus pour une femme comme Annette : une vie pleine, intelligente, hardie, non point vie de repos, qui s’endort sur sa sécurité, mais de grands vents, d’orages, d’action, de combats — avec le monde — avec lui — vie de fatigues et de peines — mais à deux, — mais la vie, — la vie digne d’être vécue et de mourir à la fin, harassée et heureuse de quitter les jours durs et féconds, et de les avoir eus… C’était beau ! Mais il fallait avoir la force… Elle l’avait, assez pour porter jusqu’au bout, tête droite, le fardeau bien posé. Mais pour le poser ? Elle avait besoin d’être aidée, et même un peu forcée. Que Philippe lui posât le fardeau sur la tête, et qu’il le lui imposât ! Qu’il lui dît : « Porte-le ! Pour moi ! Tu m’es nécessaire… » Ce mot lui aurait fait franchir tous les remords… Nécessaire, l’était-elle à Philippe ? Il le lui avait dit, aux premiers jours, quand il voulait la conquérir. Il ne le redisait plus. Et Annette eût voulu l’entendre encore, encore, pour se convaincre. Elle le voyait plein de lui, habitué à travailler seul, à lutter seul, à se débrouiller seul, y mettant son orgueil ; il se serait cru humilié, s’il s’était fait aider. Alors, elle se disait : « À quoi suis-je bonne ? » Le bienfait de l’amour n’est pas seulement de nous donner la foi en un autre, mais de nous rendre la foi en nous. Qu’il nous soit charitable ! — C’était un sentiment dont Philippe faisait peu d’usage. Ce grand docteur du corps, comme la plupart de ses pareils, ne se souciait pas des maladies de l’âme. Il ne songeait guère aux doutes qui rongeaient la femme, dont le corps était couché à ses côtés. Il n’aurait pas dû lui laisser le temps de s’interroger. En finir, l’épouser ! Annette lui soufflait, tout bas : « Partons ensemble ! Que je ne puisse plus me reprendre ! »

Mais Philippe, maintenant, n’était plus pressé. Il était passionné, oui, mais par bien d’autres passions, et qui lui importaient davantage : ses idées, ses combats, la polé-