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de sa désaffection ne passaient point, s’accentuaient : froideur inattentive aux paroles et aux mines, à la présence même de la petite épouse, totale indifférence, bien plus, à des moments, lorsque Noémi voulait lui rappeler de force son existence, ennui lassé et — mal dissimulé — dégoût qui évite un contact importun… Elle en tremblait de fureur et d’amour dédaigné !… Elle ne pouvait plus se dissimuler la gravité du mal. Elle s’affola. Mais il fallait toujours s’efforcer de ne pas le montrer… Toujours, toujours être gaie, sûre d’elle et de lui, toujours lui tendre l’hameçon, — qu’il ne regardait même pas ! Elle se consumait… Et cette insaisissable ennemie, contre qui montait en elle une haine enragée !… De ne pouvoir l’agripper, elle se serait cogné la tête contre les murs… Toutes, elle les avait toutes épiées, vainement, toutes, — sauf Annette. Annette fut la dernière à qui elle pensa.

Et ce fut Annette elle-même qui se livra.

Elle allait dans la rue, quand à une vingtaine de pas elle aperçut Noémi qui venait. Noémi ne la voyait pas, elle marchait, les yeux vagues, front baissé, et son joli visage était blême et vieilli de soucis. Elle ne s’observait plus en ce moment, et elle n’observait rien autour ; elle était, depuis des jours, comme une monomane qui tourne la meule de l’idée fixe, avec une rage accablée. Annette en fut saisie. Elle aurait pu passer près d’elle sans être remarquée, ou rebrousser chemin. Dans sa hâte maladroite, elle quitta le trottoir et traversa la rue. Ce mouvement qui rompait le flot continu des passants attira machinalement le regard de Noémi. Elle reconnut Annette, qui cherchait à l’éviter. Et, la suivant des yeux, elle la vit, de l’autre trottoir, lui jeter un regard furtif et détourner la tête. Une lueur aveuglante se fit… C’était elle !…

Elle s’arrêta, suffoquée, ses ongles contre ses paumes, serrant les dents, hérissée comme une chatte qui se met