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qu’avant ; elle éprouvait une jouissance à se dire, tandis qu’elle l’embrassait : — Mon chéri, je te mens. Ça t’apprendra ! Tu l’es !…

La crainte qu’elle avait de Philippe, s’il l’eût appris, ajoutait à l’intérêt. Philippe ne savait rien de précis, aucun fait : mais il lisait dans ses yeux le mensonge. Que Noémi l’eût ou non trompé, il savait qu’elle y pensait. Et elle voyait passer dans son regard un éclair : ses mains l’eussent broyée. Mais il ne savait rien, il ne saurait jamais rien : elle fermait les yeux, d’un air langoureux de colombe. Il disait brutalement :

— Regarde-moi !

Elle avait le temps de se composer un regard de candeur. Il savait que c’était faux, — et il n’y résistait point. Il ne lui en voulait pas, quoique, s’il l’eût prise sur le fait, il lui eût cassé les reins. Il n’attendait pas d’elle ce qu’elle ne pouvait lui donner : la franchise et la fidélité. Puisqu’elle lui plaisait, et tant qu’elle lui plairait, tout était bien. Mais il se jugeait libre de rompre, quand elle ne lui plairait plus !

Annette avait plus de scrupules. Elle était femme, elle savait mieux ce qui se passait dans le cœur de Noémi. Noémi pouvait être fausse, vaine, et tromper Philippe : elle l’aimait. Non, ce n’était pas un jeu pour elle, ainsi qu’il avait dit. Elle tenait à lui, comme un morceau de sa chair. Non seulement par le clou de feu de la volupté. Mais par le fond du cœur, bon ou mauvais. Bon et mauvais. En amour, rien ne compte que la force d’amour, cet aimant impérieux qui incruste, âme et chair, un être dans un être. Elle tenait à lui, comme au but de sa vie, à ce qu’elle avait voulu, voulu, voulu, pendant des années. Une femme ne sait pas toujours pourquoi elle s’est éprise. Mais parce qu’elle s’est éprise, elle ne peut plus se déprendre. Elle y a trop dépensé de ses forces et de son désir, pour pouvoir les reporter sur un nouvel objet. Elle vit comme un parasite sur l’être