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geignements ne l’intéressaient pas. Mais où il pouvait sauver, il sauvait, — rudement ; il tranchait dans le vif, pour guérir le vivant. Dur de cœur, mais les mains douces. Ils le craignaient, et ils le recherchaient. Il rançonnait les riches et ne demandait rien aux pauvres.

Il vivait largement, ayant pris le goût du luxe, — que d’ailleurs il eût pu, sans regrets, d’un jour à l’autre, rejeter entièrement ; — mais cette vie, puisqu’on l’a, autant la prendre toute ! Sa femme faisait partie de son luxe. Il jouissait de l’une et de l’autre, et il ne leur demandait pas ce qu’ils ne pouvaient donner. Il ne demandait pas à Noémi de partager sa pensée, et il ne le lui offrait pas. Noémi n’y tenait point : si elle avait le reste, elle gardait, jugeait-elle, la bonne part. Lui, avait décidé qu’en tout cas c’était la seule qu’on dût aux femmes. Une femme qui pense est un meuble encombrant.

Pourquoi donc fut-il pris sur-le-champ par Annette ?


Par ce qui lui ressemblait.

Par ce qui lui ressemblait dans l’Annette de ce temps, et que lui seul pouvait lire. Au croisement de lames de leurs premiers regards, au battement des premières répliques, fer contre fer, il se dit :

— Elle voit ces gens comme moi. Elle est de ma race.

De sa race ? Il ne semblait guère, à en juger par les faits : Annette était tombée de la sphère sociale, où Philippe s’était hissé, à la force du poignet ; et il se rencontraient, à un échelon de passage. — Mais, à ce moment précis, ils étaient de plain-pied ; ils se sentaient tous deux étrangers à ce monde, adversaires de ce monde, tous deux comme d’une autre race, jadis maîtresse du sol, maintenant dépossédée, dispersée sur la terre, à peu près disparue. Et qui sait, après tout, les mystères des races et leurs vicissitudes, cette mêlée millénaire où, semble-t-il, l’humanité s’achemine au triomphe final de la médio-