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Il la regarda en face.

— Vous serez battue, dit-il.

— Je le sais, on l’est toujours. Mais n’importe ! On se bat.

Sous son masque de froideur, ses yeux souriaient de défi. Mais le regard bleu de l’autre les traversa, d’un coup. Elle s’était trahie.

Philippe était un violent. La violence était une part de son génie. Il la portait aussi bien à sa clinique, dans ses diagnostics foudroyants et la sûreté de sa main, à la salle d’opération, que dans les actes de sa vie et dans ses décisions. Habitué à lire, d’un regard, au fond des corps, il saisit sur-le-champ Annette tout entière, — Annette, ses passions, son orgueil et ses troubles, et son tempérament et sa puissante nature. Et Annette se sentit saisie. Le casque aussitôt retombé, la visière baissée, enragée de dépit, elle ne livra plus aux yeux de son adversaire que l’armure glacée. À l’étreinte de son cœur, elle savait maintenant que l’ennemi était là. L’ennemi ? Oui, l’amour… (Ah ! le mot fade, si loin de la force cruelle !…) Au brusque éveil d’intérêt qu’elle avait perçu en lui, elle opposa une raideur ironique, qui voilait mal son animosité. C’était achever de se trahir. Elle était trop vraie, trop passionnée. Elle ne pouvait pas feindre. Son animosité même la montrait jusqu’en ses profondeurs. — Philippe était seul à voir. Il n’essaya plus de ranimer l’entretien ; il en savait assez ; et, l’air détaché, racontant à la société une de ces histoires amères et plaisantes, marquées de sa rude expérience, il mesurait du regard celle qu’il allait prendre.

Aucun des assistants n’avait rien observé. Les Mouton-Chevallier constataient à regret qu’Annette et Philippe ne sympathisaient point : entre les deux caractères, il n’y avait rien de commun. Au reste, en réunissant Annette avec les Villard, ils n’avaient songé qu’à rapprocher Annette et Mme  Villard : « elles étaient faites