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front renflé au-dessus des yeux, de forts maxillaires, une courte barbe en pointe, un regard bleu d’acier. Très maître de lui, il avait une froideur courtoise et impérieuse. Assis à côté d’Annette à table, il suivait deux conversations : l’entretien général que Solange menait à sa manière décousue, et celui que, dans l’intervalle, il tenait avec sa voisine. Dans les deux, il avait le même parler bref, précis, et tranchant. Jamais une hésitation, ni dans le mot, ni dans l’idée. Plus Annette l’entendait, plus elle avait pour lui une hostilité. Elle répondait, masquée sous une indifférence un peu sèche et distante. Il ne semblait pas attacher grand prix à ce qu’elle disait. Sans doute, la jugeait-il d’après les éloges insipides que lui en avait faits Solange. Il était à peine poli. Cela n’étonnait point. On était habitué à ses façons brusques. Mais Annette les supportait avec irritation. Elle l’observait, de côté, sans avoir l’air de voir, trait par trait ; et elle n’en trouvait aucun qui lui plût. Mais l’impression totale n’était point le total des impressions de détail ; et quand elle arrivait, sans trouble, à la fin de son examen, elle retrouvait le trouble. Un mouvement de la main, un plissement du visage… Elle le craignait. Et elle pensait : « Surtout, qu’il ne me voie pas ! »… Solange parlait d’un auteur qui avait, disait-elle, le don des larmes.

— Un joli don ! dit Philippe. Les larmes dans la vie, , déjà, ne valent pas cher. Mais dans l’art, je ne connais rien de plus dégoûtant que de les mettre en bouteille.

Les dames se récrièrent. Madame Villard disait que les larmes étaient un des plaisirs de la vie, et Solange une parure de l’âme.

— Eh bien, et vous, vous ne protestez pas ? demanda-t-il à Annette. Vous approvisionnez-vous aussi chez le fournisseur ?

— J’ai assez des miennes, dit-elle, je n’ai pas besoin de celles des autres.