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Annette entendit les intonations criardes du « poète », qui geignait : Ruth giflait son mari.

Annette ne doutait plus que la meilleure parti de l’argent de Ruth ne passât aux flâneries et absinthes de José. Il jouait aux courses. Ruth ne se plaignait jamais : elle s’acharnait à économiser assez pour qu’il pût éditer un volume de ses poèmes. Mais il n’était pas pressé de les écrire. Et quand, un jour, elle fit son compte, elle découvrit qu’il avait dérobé les trois quarts de l’argent : il s’était volé lui-même !

Ce jour-là, toute fierté brisée, elle avoua à Annette sa misère. Elle n’en eût point parlé, s’il ne s’était agi que d’elle. Mais depuis des années, elle s’épuisait pour lui — (elle dit : « pour sa gloire » !) — Et c’est lui qui la détruit !…

Une confidence en amène une autre. Annette finit par savoir presque tout des souffrances de Ruth. Sa santé était détruite ; Ruth, chaque jour, plus faible, savait moins renfermer ses pensées. Et, la mort approchant, ses yeux se dessillaient ; elle discernait l’inanité de cet homme et son manque d’affection. José n’était presque plus jamais à la maison. Il s’esquivait, trouvant désagréable la société d’une femme malade et chagrine.

Quand vinrent ses derniers jours, Ruth n’avait plus d’illusion. Elle affirma pourtant, avec un orgueil sincère, qu’elle ne regrettait rien, qu’elle recommencerait…

Cela m’a tuée. Mais j’ai vécu de cela.

Elle ne croyait à rien, elle n’attendait rien, ni dans ce monde, ni dans l’autre…

Annette était seule auprès d’elle, à son lit d’agonie. Une congestion cérébrale l’avait terrassée…

José, qui avait fui les approches de la mort, montra sa face peureuse, quelques instants après. Il eut une brève émotion. Après avoir larmoyé, son premier mot fut :

— Mais, nom de Dieu ! Qu’est-ce que je vais devenir ?