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brusques, toujours pressée. Elle retrouvait une figure maigre et crispée, le regard dur, la bouche arrière, les joues creusées, jeune et flétrie comme une herbe brûlée.

Le poste disputé était un secrétariat chez un ingénieur : il n’exigeait que deux matinées de présence par semaine, pour dépouiller la correspondance d’affaires et recevoir les visiteurs. Annette rencontra Ruth Guillon dans l’antichambre, et leurs yeux hostiles se croisèrent. Ruth Guillon dit :

— Vous venez pour cette place. Elle m’a été promise.

Annette dit :

— Elle ne m’a pas été promise. Mais je viens pour cette place.

— C’est inutile, puisqu’elle sera à moi.

— Utile ou non, je viens. Elle sera à qui l’aura.

Après un instant, Annette fut appelée dans le cabinet de l’ingénieur, et choisie. Elle était connue pour une travailleuse exacte et intelligente.

En sortant, elle se heurta à Ruth, et passa froidement. Ruth l’arrêta, demandant :

— Vous l’avez ?

— Je l’ai.

Elle vit le front de l’autre rougir étrangement. Elle s’attendait à une parole violente. Mais Ruth ne dit rien. Annette continua son chemin ; et l’autre la suivit. Elles descendirent l’escalier. Arrivée dans la rue, Annette, se retournant, jeta un regard rapide sur sa rivale défaite ; et l’air abattu de Ruth la remua. Malgré ses résolutions d’être dure, elle revint, et lui. dit :

— Je regrette. Il faut vivre. — Oh, je sais bien, dit l’autre. Aux uns la chance ! Moi, je n’en ai jamais.

Le ton était tout autre. Abattement sans animosité. Annette fit un geste pour lui prendre la main ; mais Ruth retira la sienne.