Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 2.djvu/248

Cette page n’a pas encore été corrigée


Une tragique rencontre accrut l’aversion d’Annette pour ces immolations sans raison — (qu’en sait-elle ?) — de ceux qui valent plus à ceux qui valent moins.

Elle s’était naguère trouvée en compétition, pour un cours d’étrangères dans une institution de Neuilly, avec une jeune femme, dont le visage rustique, et volontaire l’avait attirée. Elle essaya de lier conversation. Mais l’autre, méfiante, ne songeait qu’à l’évincer. En ce temps-là, Annette, peu habituée encore à ces luttes qui lui répugnaient, s’était mal défendue ; et même, par désir de se faire une amie, elle s’était effacée devant la concurrente. Celle-ci ne lui en avait eu aucune reconnaissance. Rien ne comptait pour elle que son gain. Une fourmi qui se hâte, avide d’amasser… Annette ne l’intéressait point.

Annette l’avait perdue de vue ; et quand, six ans après, le hasard de nouveau les mit en présence, l’une et l’autre avaient changé. Annette n’était plus disposée à faire la généreuse, ou bien la dégoûtée… La vie est comme elle est. Je n’ai pas les moyens de la modifier ; je veux vivre : tu passeras après…

Le heurt se produisit. Il ne fut pas long. Dès la première passe, la concurrente était knock out… Comme elle avait vieilli ! Annette fut frappée du ravage. Elle avait gardé le souvenir d’une brunette aux joues colorées, semées de deux ou trois petits grains noirs, comme un pain aux raisins, solide paysanne, de taille courte, ramassée, le visage dessiné d’un trait fin et sec, qui n’eût pas manqué d’un certain agrément sans un air de maussaderie, — le front obstiné, les mouvements