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Mais, tout en aimant sa sœur, elle avait un vif et cruel plaisir à lui voler ce cœur qui était sa bouture.

La finesse intéressée de l’enfant pour tout ce qui le concerne avait saisi le duel engagé entre les deux sœurs ; et, naturellement, il l’exploitait. Par ruse maligne, il réservait ses faveurs à Sylvie ; et il était bien aise de la jalousie qu’il excitait chez sa mère. Annette ne la cachait plus. Elle la justifiait, avec plus de raison que Sylvie, par l’intérêt de Marc. Sylvie aimait l’enfant et elle ne manquait pas de bon sens. Sa sagesse poids légers en valait bien une autre plus pesante ; mais elle n’était pas faite pour un garçon de treize ans ; et le profit qu’il retirait en était périlleux : si elle aiguisait en lui l’appétit de la vie, elle ne lui en donnait pas le respect ; et quand, de trop bonne heure, le respect a fichu le camp, gare à la casse ! Sylvie n’était pas faite non plus pour former le goût de Marc, sinon pour la toilette. Elle le menait à de stupides cinémas, à des music-halls, d’où il rapportait des refrains effarants et des images qui laissaient peu de place aux pensées sérieuses : son travail s’en ressentit. Annette se fâcha et défendit à Sylvie d’emmener Marc. C’était le bon moyen de sceller l’alliance du neveu et de la tante. Marc se jugea persécuté ; il découvrit que, de nos jours, le métier de peuple opprimé est rémunérateur ; et Annette apprit, à ses dépens, que celui de peuple oppresseur n’est pas de tout repos.

Maintenant, Marc lui faisait sentir, à toute occasion, qu’il était une victime et qu’elle abusait de sa force. Eh bien, soit ! elle en abusait, pour le faire marcher au pas ! Elle ne toléra plus ses légèretés de langage, ces habitudes inconvenantes qu’il avait prises de gouailler tout, cette blague impertinente. Pour le réduire, elle lui opposa une sévérité de principes. Il avait la partie belle pour répondre ! Depuis longtemps, il guettait l’occasion. Un jour qu’il s’appuyait, contre une interdiction de sa mère, sur des paroles de la tante, Annette, impatientée,