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en dehors de la stricte discipline du mariage, qu’entre une contrainte morale absolue, et l’abandon consenti aux instincts passionnés. Tout ou rien… Rien ! Et cependant, par bouffées, — malgré ses élans de ferveur fière, — depuis quelques mois, la prend à la gorge cette angoisse :

— Je perds ma vie…

Marcel Franck reparut. Le hasard le mit sur le chemin d’Annette ; il ne songeait plus à elle, mais il ne l’avait pas oubliée. Il avait fait pas mal d’expériences amoureuses. Sur son souple cœur elles n’avaient pas trop marqué : comme de fins coups d’ongle, autour des yeux malins quelques plis légers. Mais une certaine fatigue, un affectueux dédain pour ses faciles conquêtes et pour le conquérant. À peine eut-il revu Annette, il retrouva la sensation d’antan — fraîcheur et certitude — qui attirait curieusement ce sceptique et blasé. Il l’explorait des yeux : elle aussi, avait vu du pays ! Il y avait au fond du regard des lueurs englouties, des sillages, des naufrages. Mais elle paraissait plus calme et plus assurée. Et le regret lui revint de cette saine compagne, qui, par deux fois déjà, lui avait échappé. Il n’était pas trop tard ! Jamais ils n’avaient semblé plus près de s’entendre. Il sut, sans l’interroger, se rendre compte discrètement de ses ressources et de ses occupations. Peu de temps après, il lui fit offrir un travail assez bien rétribué : il s’agissait d’un classement de fiches pour le catalogue d’une collection particulière d’ouvrages d’art, dont il était chargé. Un motif naturel pour passer avec elle quelques heures par semaine. Ils savaient à la fois travailler et causer. L’intimité de naguère fut vite rétablie.

Marcel ne questionnait jamais Annette sur sa vie ; mais il se racontait : — c’était le meilleur moyen de connaître ce qu’elle pensait. Les plaisantes expériences