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réfléchi. Ces bêtes étaient comme lui !… Il ne s’apitoyait pas, il n’en avait aucune envie. Mais il les regardait maintenant avec d’autres yeux, inquiets, attentifs, hostiles… Un cheval tombé dans la rue… Un chien écrasé qui crie… Il épiait… Le besoin de savoir était trop fort, pour que la pitié s’éveillât…

À Pâques, le petit étant étiolé d’un hiver sans froid et sans soleil, gris, humide, avec des grippes bénignes et insidieuses qui lui avaient sucé toute la couleur des joues, Annette loua pour une quinzaine une chambre de paysan, dans la vallée de Bièvres. Il n’y avait qu’un grand lit pour elle et pour l’enfant. Il n’aimait pas beaucoup cela ; mais on ne lui demandait pas son avis. Heureusement, le jour, il était seul ; Annette retournait à Paris, pour ses affaires ; et elle le laissait sous la garde de ses hôtes, qui ne le gardaient guère. Marc avait tôt fait de s’éclipser dans les champs. Il regardait, furetait, il tâchait d’attraper, dans les bêtes et les choses, quelque secret qui le concernât : car tout, dans la nature, il le rapportait à lui. Il errait dans les bois. Il entendit brailler, à distance, des gamins. Il ne cherchait pas la société des autres garçons, parce qu’il n’était pas assez fort, et qu’il aurait voulu dominer ; mais tout de même, il était attiré. Il s’approcha et vit qu’ils étaient cinq ou six, faisant cercle autour d’un chat blessé. La bête avait l’échiné brisée ; et les petits s’amusaient à le remuer, harceler, piquer du bout de leurs bâtons. Marc, sans réfléchir, se jeta sur la troupe et lança des coups de poing. La surprise passée, la bande le rossa et le hua. Il fit retraite ; mais il restait à quelques pas, caché derrière les arbres, et il se bouchait les oreilles. Il ne pouvait se décider à partir… Il revint. Les galopins le hélèrent en raillant :

— Hé ! la quille ! Tu as peur ? Viens un peu le voir crever l

Il vint. Il ne voulait pas sembler une poule mouillée.