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égoïste. Ce n’est plus, comme au temps où il était tout petit, le besoin aveugle et glouton d’absorber le petit être dans sa passion. Elle voit en lui maintenant une personnalité. Mais cette personnalité, elle se persuade qu’elle en a la clef, qu’elle sait mieux que lui ses lois et son bonheur ; elle veut la sculpter à l’image de son Dieu caché. Comme la plupart des mères, se jugeant incapable de créer par elle seule ce qu’elle veut, elle rêve de le créer par celui qu’elle a fait de son sang : (le rêve éternel, éternellement déçu, de Wotan !…)

Mais pour le façonner, il faudrait le saisir. Ne pas le laisser échapper !… Elle fait tout pour l’envelopper. Trop. Chaque jour, il échappe davantage. Elle a l’impression décourageante qu’elle le connaît moins, chaque jour. Elle connaît bien une chose : son corps, sa santé physique, ses maladies, les moindres symptômes ; elle a une intuition qui ne la trompe pas. Elle le tient devant elle, le lavant, le palpant, le soignant,… ce cher corps fragile de petit androgyne… On le dirait transparent… Mais qu’est-ce qu’il y a dedans ? Elle le mange des yeux, des mains, il lui est tout livré…

— Dieu ! que je t’aime, petit monstre ! Et toi, est-ce que tu m’aimes ?

Il répond poliment :

— Oui, maman.

Mais qu’est-ce qu’il pense, au fond ?


Marc n’avait, à sept ans, presque aucun trait de famille. Annette avait beau l’explorer, quêter une ressemblance, tâcher de se l’inventer… Non, il ne lui ressemblait pas, ni la forme du front, ni des yeux, ni des lèvres, cette sorte de gonflure caractéristique des Rivière, et spécialement d’Annette, — comme si la volonté, l’ardeur intérieure, faisaient lever la pâte. — Tout au plus, la couleur de l’iris, mais perdue dans un monde étranger… Quel monde ? Celui du père ? Les