Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 2.djvu/167

Cette page n’a pas encore été corrigée

nouvelles. De la copie en chambre, un travail d’étrangère ou une traduction à revoir : (tâche ingrate, peu payée) ; quelque secrétariat d’œuvre, un ou deux matins par semaine : (mal rétribué aussi) ; mais le tout, mis ensemble, devenait suffisant. Gagner par tous les moyens ! Annette cumulait. Elle se fît détester des concurrentes affamées, auxquelles elle se heurta de nouveau, dans sa chasse au pain. Mais cette fois, tant pis ! Plus de sentimentalité ! Il lui fallait passer. On ne se retournait pas pour ramasser ceux qui étaient tombés. Elle avait bien parfois la vision au passage de quelque figure crispée, qui la dévisageait avec des yeux hostiles, quelque rivale évincée, à qui elle eût volontiers porté aide, en d’autres jours. Tant pis ! On n’a pas le temps. Il s’agissait d’arriver la première. Elle savait maintenant où trouver le travail, et par le plus court chemin. Ses diplômes, sa licence, lui assuraient une supériorité. Et elle n’ignorait pas qu’elle en avait une autre : sa cote personnelle, ses yeux, sa voix, sa mise, l’art de dompter les clients. Entre elle et d’autres postulantes, on hésitait rarement. Les sacrifiées ne le lui pardonnaient point.

Sa vie nouvelle s’ordonnait sur un plan d’une saine rigueur. Pas un vide pour les pensées inutiles. Au jour le jour. Chaque jour était plein comme une noix, plein et dur. Après le tremblement des premières semaines, où elle ne savait pas si elle arriverait à vivre et faire vivre son fils, elle s’habitua, se rassura, elle finit même par éprouver un plaisir de ! a difficulté vaincue. Sans doute, aux rares instants où la nécessité d’agir ne tenait plus son esprit tendu, quand, le soir, elle posait sa tête sur l’oreiller, elle avait des minutes, avant de s’endormir, où se pressaient les calculs, les préoccupations de budget… Si elle tombait en route ?… Malade ?… Je ne veux pas !… Paix, il faut dormir… Heureusement, elle était lasse ; le sommeil ne se faisait pas attendre. Et quand revenait le jour, il n’y avait plus de place pour les « si » et les ap-