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— Qu’est-ce que tu as ? Qu’est-ce que tu as contre moi ? Ma chérie, dis-le-moi !

Mais le regard de Sylvie la glaçait. Elle n’osait pas. Elle avait l’intuition que Sylvie, si elle parlait, ce serait pour dire des choses irréparables. Mieux valait se taire. Annette sentait chez sa sœur une volonté d’injustice, contre laquelle on ne pouvait rien.

Un jour, Sylvie dit à Annette qu’elle voulait avoir un entretien avec elle. Annette, le cœur battant, se demandait :

— Que va-t-elle me dire ?

Sylvie ne dit rien qui pût offenser Annette, pas un mot de ses griefs. Elle lui parla de mariage.

Annette, doucement, écarta le sujet. Mais Sylvie, insistant, proposait un parti : un ami de Léopold, une sorte de courtier d’affaires, vaguement journaliste, qui avait un certain chic, des manières d’homme du monde, des ressources variées, (trop variées), qui vendait des autos et de la publicité, servait d’intermédiaire entre des industriels et la clientèle des cercles et des salons, et touchait des commissions des deux côtés. Il fallait que Sylvie eût bien changé à l’égard de sa sœur, pour lui offrir un tel choix ; et Annette fut sensible au manque d’affection que marquait cette méconnaissance voulue. Elle arrêta d’un geste l’exposé de la candidature. Sylvie le prit mal, demandant si Annette trouvait le parti au-dessous de ses prétentions. Annette dit qu’elle ne prétendait à rien qu’à vivre seule. Sylvie répliqua que c’est facile à dire ; mais quand on veut vivre seule, il faut d’abord le pouvoir.

— Est-ce que je ne le puis pas ?

— Toi ! je t’en défie bien !

— Tu es injuste. Je puis gagner ma vie !

— Avec le secours des autres !

Il y avait dans le ton, plus encore que dans les mots, une intention blessante. Annette rougit, mais elle ne la